•       b)Centralisation et hiérarchisation de l’administration

    La centralisation de l’administration a été, au même titre que sa professionnalisation, la conséquence du caractère personnel du régime. Comme toute autorité émanait de l’empereur, et toutes les affaires remontaient jusqu’à lui, il fallut développer un système capable, de degré en degré, de l’informer des questions importantes, de transmettre et faire respecter ses ordres dans l’ensemble de l’Empire. Elle a été accentuée par l’interventionnisme de l’Etat, confronté au IIIe siècle à une grave crise sociale et économique, qui a pratiqué une politique autoritaire et dirigiste visant à règlementer dans les moindres détails les activités et enserré la société dans un carcan juridique et administratif. L’Empire romain a créé un régime bureaucratique qui préfigure ceux des Etats modernes.

    Au niveau central, les organes de gouvernement se composaient d’un conseil, où étaient délibérées les affaires les plus importantes, élaborés les textes de lois et jugés les procès en dernier ressort ; et d’une chancellerie chargée de l’expédition des ordres impériaux et des affaires judiciaires. Ces organes étaient assistés d’une multitude de bureaux et de services qui assuraient la liaison avec les provinces. Localement, les ordres impériaux étaient relayés par une administration complexe, répartie en circonscription dont chacune disposait d’organes propres. Au sommet, les préfets du prétoire, devenus sous Constantin des agents locaux établis à la tête de vastes régions, mais dont les attributions se limitaient désormais aux affaires civiles. Les préfectures étaient divisées en diocèses, dirigés par un vicaire, et les diocèses subdivisés en provinces, ayant à leur tête un gouverneur placé directement sous l’autorité de l’empereur. Les circonscriptions de base avaient conservé leurs organes administratifs traditionnels et une certaine autonomie, de plus en plus réduite aux IVe-Ve par l’intervention de nouveaux agents impériaux : le defensor civitatis et le curator rei publicae.

    L’hypertrophie administrative n’a pas suffi à assurer le contrôle efficace d’un empire trop vaste, miné à partir du IIIe siècle par l’anarchie et les premières invasions barbares. Dès 285, l’empereur Dioclétien a mis en place une division du territoire et un partage du pouvoir impérial en deux zones géographiques, l’Orient et l’Occident, ayant chacune à sa tête un empereur (Auguste), assisté d’un adjoint (César). Ce gouvernement à quatre n’eut qu’une brève existence mais marque le point de départ d’une séparation, de plus en plus effective au cours du Ve siècle, entre un Empire d’Orient et un Empire d’Occident, ayant chacun son empereur, sa capitale (Rome pour l’Occident, Constantinople pour l’Orient), sa législation et son administration. Deux Empires qui ont connu des sorts différents : celui d’Occident a disparu en 476, avec la déposition de son dernier empereur, Romulus Augustule, par un général d’origine barbare, Odoacre ; celui d’Orient, bien qu’affaibli par les luttes intestines et les conquêtes arabes puis ottomanes, a survécu jusqu’à la prise de Constantinople par les turcs en 1453.


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  •    2)L’Empire romain, modèle d’Etat administratif

    A l’époque républicaine, il n’existait pas, sauf pour quelques services techniques, d’administration régulière au service de l’Etat. Les fonctions essentielles, à Rome comme dans les provinces conquises, étaient exercées par des hommes politiques : la ville de Rome étaient administrée par ses magistrats élus, les provinces par des promagistrats (proconsuls, propréteurs) désignés parmi les anciens magistrats sortis de charge et bénéficiant d’une prorogation de leur imperium par le Sénat. A l’opposé, l’Empire a mis en place une administration nouvelle qui préfigure à deux points de vue les systèmes administratifs modernes : par sa professionnalisation et par son caractère centralisé et hiérarchisé.

          a)Professionnalisation de l’administration impériale

    La professionnalisation de l’administration impériale a été la conséquence du déclin progressif des magistratures républicaines et de la concentration des pouvoirs en la personne de l’empereur. Celui-ci dut s’entourer de collaborateurs choisis tantôt dans sa propre domesticité, tantôt dans l’aristocratie romaine et provinciale.

    Du fait de sa qualité de privatus, l’empereur a confié des fonctions administratives à ses esclaves ou à ses affranchis, comme l’aurait fait n’importe quel particulier. Il les a chargés de tâches techniques ou subalternes, mais parfois aussi de fonctions plus relevées impliquant l’exercice de droits de puissance publique, et certains d’entre eux ont exercé une forte influence politique. Progressivement, ces domestiques impériaux sont passés au service de l’Etat, ont fourni une grande partie du personnel des bureaux, secrétaires chargés de la rédaction des actes, comptables, gestionnaires des finances… Spécialisés dans des fonctions qu’ils exerçaient toute leur vie et dans lesquelles ils faisaient carrière, ils apparaissent de ce point de vue comme les lointains ancêtres des fonctionnaires modernes. 

    Pour exercer des fonctions plus élevées, les empereurs ont recruté au sein de l’aristocratie romaine, reconstituée par Auguste et organisée en ordres (ordre sénatorial, ordre équestre) dotés d’un statut juridique. Dans ces ordres, véritables pépinières de fonctionnaires, et spécialement chez les chevaliers, étaient choisis les procurateurs, bénéficiaires des délégations des droits de puissance publique consenties par l’empereur, les gouverneurs des provinces et les préfets, magistrats institués par Auguste pour diriger les grands services publics (préfet du prétoire, qui commandait la garde personnelle de l’empereur, les cohortes prétoriennes, mais exerçait aussi des tâches administratives et judiciaires ; préfet de la ville, chargé d’administrer Rome en l’absence de l’empereur ; préfet du trésor ; préfet de l’annone ; préfet des vigiles). A l’opposé des magistratures républicaines, la haute administration était ainsi formée de professionnels, qui se consacraient durant toute leur carrière au service de l’Etat.


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  •       *Formation du pouvoir législatif impérial

    Pas plus que les magistrats républicains dont ils prétendaient les continuateurs, les premiers empereurs ne disposaient du pouvoir de légiférer : ils avaient, comme eux, l’initiative des lois, mais celles-ci devaient toujours recevoir l’aval du Sénat et ne devenaient effectives qu’après le vote des comices. Après que les comices furent tombés en désuétude, c’est le Sénat qui recueillit la fonction de voter les lois et ses sénatus-consultes reçurent directement valeur législative. En réalité, dès l’origine, les comices, puis le Sénat que l’empereur composait à sa guise, étaient devenus des chambres d’enregistrement qui approuvaient sans opposition les projets impériaux : présenté comme une prière, le projet était en fait un ordre fidèlement servi.

    Au IIIe siècle, la fiction de l’exercice du pouvoir législatif par le Sénat au nom du peuple romain a disparu : il a été admis sans détour que l’empereur avait le pouvoir de légiférer, fondé sur l’auctoritas, et l’exerçait sans limites. Les juristes de l’entourage impérial l’ont exprimé en des formules qui, transmises par les compilations de Justinien et détachées de leur contexte, ont permis plus tard d’édifier la notion de souveraineté : Quod principi placuit habet legis vigorem (Ce que le prince a jugé bon a force de loi), ou Princeps legibus solutus est (Le prince est absous des lois). On glisse ainsi du Principat, où le prince était censé n’être que le premier des citoyens, vers le Dominat, où il est considéré comme le dominus, le maitre absolu.

          *Hérédité de la dignité impériale

    La transmission héréditaire de la fonction impériale s’est établie plus difficilement, du fait de la persistance des apparences républicaines. Les pouvoirs conférés à Octave l’avaient été à titre personnel et, à sa mort, auraient dû revenir au Sénat qui en était le dépositaire selon la tradition républicaine. En fait, Octave organisa sa propre succession en associant au pouvoir son fils adoptif Tibère, mais sauvegarda les apparences en lui faisant attribuer ses fonctions par le Sénat et l’investiture par les comices. Néanmoins, une tendance à l’hérédité commença à s’établir et les successeurs de Tibère, membres de la dynastie julio-claudienne (Caligula, Claude, Néron), furent tous des héritiers par le sang ou adoptifs de l’empereur précédent, à qui le Sénat et les comices conférèrent automatiquement l’investiture.

    C’est seulement en l’absence d’héritier, comme à la mort de Néron (68), que le Sénat retrouva une certaine liberté de choix, rapidement bridée par l’influence de l’armée qui, dès 69, parvint à imposer son candidat, Vespasien. Au IIe siècle, le principe dynastique, favorisé par la divinisation de l’empereur, progressa avec la succession de deux lignées d’empereurs, les Antonins et les Sévères, mais au IIIe siècle, période de crise généralisée, l’armée, avec les prétoriens de la garde impériale, imposa à nouveau ses candidats, quitte à s’en débarrasser dès qu’ils ne lui convenaient plus. L’hérédité s’imposa définitivement qu’au IVe siècle, à partir de Constantin. 


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