• La longue marche vers l’unification du droit
     
    La rédaction officielle des coutumes
     
    La rédaction officielle des coutumes, restées jusque là, à l’exception de celles du midi, orales ou rédigées seulement à titre privé, constitue un tournant dans l’histoire du droit. L’initiative en revient au roi Charles VII dans le cadre d’une vaste politique de réforme entreprise à l’issue de la guerre de cent ans : l’ordonnance de Montils-lès-Tours pour la réformation de la justice, d’avril 1454 (article 125), a décrété que « les coutumes, usages et styles de tous les pays de notre royaume soyent rédigés et mis pas escrit » dans le but d’abréger les procès et de permettre aux juges de mieux connaître le droit applicable. La procédure laissait une large initiative aux autorités locales : dans chaque province ou
    bailliage, les praticiens et les représentants de la population rédigeaient eux-mêmes le texte de la coutume que le roi et le parlement se bornaient ensuite à vérifier avant de le promulguer.
     
    Cependant, la décision n’eut guère d’effets immédiats : seules furent rédigées dans la seconde moitié du XVe siècle quelques coutumes du Val de Loire, où résidaient le roi et sa cour (Touraine en 1461, Anjou en 1463), et celle du duché de bourgogne (1459) à l’initiative du duc Philippe le Bon. L’impulsion décisive fut donnée sous le règne de Charles VIII par l’ordonnance d’Amboise du 15 mars 1498 qui établit une procédure nouvelle de rédaction. Plus précis et plus directif, l’ordonnance de 1498 l’a modifiée en faisant intervenir dès le début des commissaires royaux et en leur confiant un rôle plus actif : le roi nommait trois commissaires parmi les principaux magistrats du parlement du ressort dont dépendait la coutume à rédiger, qui devaient se rendre sur place et diriger toutes les opérations. Les commissaires réunissaient des praticiens locaux réputés pour leur connaissance du droit et élaboraient avec eux un projet de coutume.
     
    Ce projet de coutume était ensuite soumis aux députés des trois états de la province, qui avaient pouvoir de l’adopter ou de la rejeter. Les dispositions sur lesquelles les états s’accordaient unanimement étaient aussi arrêtés et publiées par les commissaires du roi. Celles qui suscitaient des désaccords, ou qui faisaient l’objet d’une opposition de la part de particuliers ou de corps, étaient réservées et portées devant le parlement, qui devait les trancher au terme d’une procédure contradictoire. Une fois le travail achevé, la coutume rédigée était promulguée par le roi et, dès lors, s’imposait à tous. La plupart des coutumes furent rédigées dans la première moitié du XVIe siècle, à l’exception de celle de Normandie qui dut attendre 1583.  
     
    Dans la seconde moitié du XVIe siècle, le travail de rédaction étant presque achevé, commença la réformation, c’est-à-dire la révision des coutumes déjà rédigées dans le but d’en moderniser la forme et le fonds : ainsi la coutume de Paris, rédigée en 1510, fut réformée en 1580. La rédaction a causé de profonds changements dans les coutumes. Elle a eu pour première conséquence d’en diminuer le nombre. Au XVIIIe siècle, la France comptait 65 coutumes générales régissant toute une province ou un bailliage, et environ 300 coutumes locales, qui ne dérogeaient à la coutume générale que sur
    quelques points. La rédaction, et surtout la réformation, ont permit aussi de moderniser et jusqu’à un certain point d’uniformiser le droit coutumier. Les commissaires du roi, avec l’accord des représentants des trois ordres, ont introduit des règles inspirées du droit romain, qu’ils jugeaient mieux adaptées à l’évolution de la société.  
     
    La doctrine à la recherche d’un droit commun français
     
    L’essor de la doctrine coutumière a été une conséquence indirecte, mais des plus importantes, de la rédaction. Dans la première moitié du XVIe siècle, aussitôt après la rédaction, ont paru de nombreux commentaires de coutumes, dont les articles étaient interprétés selon des procédés d’inspiration bartoliste. Par la suite, les juristes coutumiers ont adopté les méthodes des humanistes, en faisant une moindre place au commentaire exégétique et à l’examen de questions pratiques au profit de raisonnements logiques, menés de manière plus synthétique et déductive. Ces travaux ont contribué à orienter de manière décisive l’évolution du droit français. Grâce à eux, la science du droit coutumier
    a comblé son retard sur le droit romain et accédé à une reconnaissance au moins égale, et même rapidement supérieure à celle de la science romaniste. 
     
    L’apport le plus original et le plus fécond de la doctrine a consisté à dépasser la diversité des coutumes pour chercher à introduire l’unité autour de la notion de droit commun coutumier. Les juristes du XVIe siècle, en même temps qu’ils rejetaient la primauté du jus commune, ont éprouvé le besoin de le remplacer dans sa fonction unificatrice par un nouveau droit commun, fondé sur les coutumes elles mêmes, qu’ils ont commencé à envisager comme système homogène. Le droit commun coutumier, appelé de plus en plus souvent droit français, devait jouer un rôle identique à celui qui était dévolu au jus commune : combler les lacunes des coutumes muettes, et plus encore servir de critère général d’interprétation de toutes les dispositions coutumières. Influencés par les méthodes de l’humanisme systématique puis par les méthodes de l’école du droit naturel, la plupart s’inspiraient des institutes romaines dont ils empruntaient le titre et le plan.
     
    Le travail d’unification de la doctrine a trouvé une consécration et un prolongement dans l’enseignement : reprenant une idée de Guy Coquille, l’édit de Saint-Germain -en-Laye d’avril 1679 a institué dans toues les facultés de droit, y compris celles des pays de droit écrit, des cours de droit français à côté des matières traditionnelles, droit romain et droit canonique. Ils devaient être dispensés non par des docteurs régents, comme les précédents, mais par des professeurs royaux dotés d’un statut particulier, recrutés parmi les meilleurs praticiens et rémunérés directement par le roi. Malgré la place limitée faite au droit français, la réforme innovait en ouvrant pour la première fois l’enseignement
    universitaire vers le droit positif national. Il est néanmoins incontestable que la doctrine a fait accomplir des progrès décisifs dans cette voie et préparé la codification future, à laquelle oeuvrait aussi la législation royale.
     
    Les attaques contre le droit romain ont été le fait de jurisconsultes dont l’argumentation, inspirée par leurs idées gallicanes et par un sentiment national très vif, a contribué à faire passer le droit romain, comme le droit canonique, pour étranger à la France. A cette élite des praticiens, le droit apparaissait comme le produit du « naturel » de chaque peuple, étroitement déterminé par l’époque, le milieu voire le climat où il s’était formé. Le refus de reconnaître toute autorité officielle au droit romain n’implique pas qu’il ait perdu toute influence. A l’opposé d’une réception massive du droit romain comme système juridique, son utilisation pour la raison ne consistait qu’à transposer un nombre limité de
    solutions précises, comme l’avaient fait les réformateurs de coutumes, en intégrant quelques règles romaines dans le droit coutumier pour en combler les lacunes. Le droit romain a servi de modèle aussi d’un autre point de vue : il a passé pour l’exemple type d’un systématique et rationnel, conforme aux enseignements de la nature.              
     
    Les grandes ordonnances codificatrices
     
    Les ordonnances de Louis XIV
     
    Les ordonnances de Louis XIV représentent l’aboutissement d’un vaste programme de codification du droit conçu dès le début du règne personnel et auquel fut étroitement associé le plus influent des ministres, Jean Baptiste Colbert. Si elles se rattachent à la tradition des ordonnances de réformation, elles s’en distinguent par la procédure de leur rédaction, leur spécialisation rigoureuse et le caractère rationnel et ordonné de leur contenu. Colbert, dans les mémoires rédigés à cette occasion, souhaitait une réforme générale du droit. Elle aboutit à la rédaction de cinq grandes lois : l’ordonnance civile
    d’avril 1667, l’ordonnance des eaux et forets d’août 1669, l’ordonnance criminelle d’août 1670, l’ordonnance du commerce (terrestre) de mars 1673 et celle de la marine d’août 1681. Après la mort de Colbert fut promulguée, en mars 1685, l’ordonnance coloniale, appelée aussi code noir, qui fixait le droit applicable dans les colonies.
     
    Les ordonnances de Louis XIV ont fait accomplir un progrès à la codification. A la différence des codes romains, elles ne constituaient pas de simples compilations de lois antérieures mais offraient des textes originaux clairs et soigneusement rédigés, qui réformaient le droit existant. Les ordonnances civiles et criminelles n’ont fixé et unifié que les règles essentielles de la marche des procès, auparavant variables d’une juridiction à l’autre, ainsi que les questions les plus controversées, et n’ont abrogé que les lois et usages contraires à leurs dispositions. L’ordonnance des eaux et forets, l’ordonnance du
    commerce et l’ordonnance de la marine, inspirées des préoccupations mercantilistes de Colbert, ne prétendaient pas davantage traiter l’ensemble de la matière. L’ordonnance du commerce, trop lacunaire, est apparue rapidement dépassée. L’importance qui leur a été reconnue se mesure au nombre et à la qualité des commentaires doctrinaux qu’elles ont suscités. 
     
    Les ordonnances de Louis XV
     
    Les ordonnances de D’Aguesseau, à la différence de celles de Louis XIV, touchent directement au droit privé. Henri François d’Aguesseau (ou Daguesseau) exerça la fonction de chancelier de France pendant une période de trente trois ans (de 1717 à 1750), entrecoupée de disgrâces où les sceaux lui furent retirés. Juriste éminent, d’esprit rationnel et cartésien, il était, tout autant que Colbert, partisan de l’unité de législation, mais trop prudent et trop bon connaisseur du droit pour ignorer qu’une telle tâche ne pouvait être réalisées dans l’immédiat. Aussi a-t-il procédé par étapes et limité son travail de codification à trois questions qui firent l’objet d’ordonnances distinctes, 
     
    Ces ordonnances ont été réunies sous le titre officieux de code Louis XV : les donations entre vifs (1731), les testaments (1735) et les substitutions (1747). Promulguées dans des matières relevant traditionnellement du droit romain et du droit coutumier, elles n’avaient pas pour but de substituer à ces sources des dispositions d’ordre législatif mais visaient plus modestement à unifier la jurisprudence divergente des parlements. Le résultat, bien que d’ampleur limitée, est remarquable par sa clarté et sa valeur technique. Les ordonnances de D’Aguesseau ont permis une large unification du droit des donations, facilitée par le fait qu’il était pour l’essentiel d’origine romaine. La doctrine a parachevé le travail en leur consacrant de nombreux commentaires.

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