Par
capauniv2 le
7 Décembre 2008 à 06:18
La longue marche vers lunification du droit
La rédaction officielle des coutumes
La rédaction officielle des coutumes, restées jusque là, à lexception de celles du midi, orales ou rédigées seulement à titre privé, constitue un tournant dans lhistoire du droit. Linitiative en revient au roi Charles VII dans le cadre dune vaste politique de réforme entreprise à lissue de la guerre de cent ans : lordonnance de Montils-lès-Tours pour la réformation de la justice, davril 1454 (article 125), a décrété que « les coutumes, usages et styles de tous les pays de notre royaume soyent rédigés et mis pas escrit » dans le but dabréger les procès et de permettre aux juges de mieux connaître le droit applicable. La procédure laissait une large initiative aux autorités locales : dans chaque province ou
bailliage, les praticiens et les représentants de la population rédigeaient eux-mêmes le texte de la coutume que le roi et le parlement se bornaient ensuite à vérifier avant de le promulguer.
Cependant, la décision neut guère deffets immédiats : seules furent rédigées dans la seconde moitié du XVe siècle quelques coutumes du Val de Loire, où résidaient le roi et sa cour (Touraine en 1461, Anjou en 1463), et celle du duché de bourgogne (1459) à linitiative du duc Philippe le Bon. Limpulsion décisive fut donnée sous le règne de Charles VIII par lordonnance dAmboise du 15 mars 1498 qui établit une procédure nouvelle de rédaction. Plus précis et plus directif, lordonnance de 1498 la modifiée en faisant intervenir dès le début des commissaires royaux et en leur confiant un rôle plus actif : le roi nommait trois commissaires parmi les principaux magistrats du parlement du ressort dont dépendait la coutume à rédiger, qui devaient se rendre sur place et diriger toutes les opérations. Les commissaires réunissaient des praticiens locaux réputés pour leur connaissance du droit et élaboraient avec eux un projet de coutume.
Ce projet de coutume était ensuite soumis aux députés des trois états de la province, qui avaient pouvoir de ladopter ou de la rejeter. Les dispositions sur lesquelles les états saccordaient unanimement étaient aussi arrêtés et publiées par les commissaires du roi. Celles qui suscitaient des désaccords, ou qui faisaient lobjet dune opposition de la part de particuliers ou de corps, étaient réservées et portées devant le parlement, qui devait les trancher au terme dune procédure contradictoire. Une fois le travail achevé, la coutume rédigée était promulguée par le roi et, dès lors, simposait à tous. La plupart des coutumes furent rédigées dans la première moitié du XVIe siècle, à lexception de celle de Normandie qui dut attendre 1583.
Dans la seconde moitié du XVIe siècle, le travail de rédaction étant presque achevé, commença la réformation, cest-à-dire la révision des coutumes déjà rédigées dans le but den moderniser la forme et le fonds : ainsi la coutume de Paris, rédigée en 1510, fut réformée en 1580. La rédaction a causé de profonds changements dans les coutumes. Elle a eu pour première conséquence den diminuer le nombre. Au XVIIIe siècle, la France comptait 65 coutumes générales régissant toute une province ou un bailliage, et environ 300 coutumes locales, qui ne dérogeaient à la coutume générale que sur
quelques points. La rédaction, et surtout la réformation, ont permit aussi de moderniser et jusquà un certain point duniformiser le droit coutumier. Les commissaires du roi, avec laccord des représentants des trois ordres, ont introduit des règles inspirées du droit romain, quils jugeaient mieux adaptées à lévolution de la société.
La doctrine à la recherche dun droit commun français
Lessor de la doctrine coutumière a été une conséquence indirecte, mais des plus importantes, de la rédaction. Dans la première moitié du XVIe siècle, aussitôt après la rédaction, ont paru de nombreux commentaires de coutumes, dont les articles étaient interprétés selon des procédés dinspiration bartoliste. Par la suite, les juristes coutumiers ont adopté les méthodes des humanistes, en faisant une moindre place au commentaire exégétique et à lexamen de questions pratiques au profit de raisonnements logiques, menés de manière plus synthétique et déductive. Ces travaux ont contribué à orienter de manière décisive lévolution du droit français. Grâce à eux, la science du droit coutumier
a comblé son retard sur le droit romain et accédé à une reconnaissance au moins égale, et même rapidement supérieure à celle de la science romaniste.
Lapport le plus original et le plus fécond de la doctrine a consisté à dépasser la diversité des coutumes pour chercher à introduire lunité autour de la notion de droit commun coutumier. Les juristes du XVIe siècle, en même temps quils rejetaient la primauté du jus commune, ont éprouvé le besoin de le remplacer dans sa fonction unificatrice par un nouveau droit commun, fondé sur les coutumes elles mêmes, quils ont commencé à envisager comme système homogène. Le droit commun coutumier, appelé de plus en plus souvent droit français, devait jouer un rôle identique à celui qui était dévolu au jus commune : combler les lacunes des coutumes muettes, et plus encore servir de critère général dinterprétation de toutes les dispositions coutumières. Influencés par les méthodes de lhumanisme systématique puis par les méthodes de lécole du droit naturel, la plupart sinspiraient des institutes romaines dont ils empruntaient le titre et le plan.
Le travail dunification de la doctrine a trouvé une consécration et un prolongement dans lenseignement : reprenant une idée de Guy Coquille, lédit de Saint-Germain -en-Laye davril 1679 a institué dans toues les facultés de droit, y compris celles des pays de droit écrit, des cours de droit français à côté des matières traditionnelles, droit romain et droit canonique. Ils devaient être dispensés non par des docteurs régents, comme les précédents, mais par des professeurs royaux dotés dun statut particulier, recrutés parmi les meilleurs praticiens et rémunérés directement par le roi. Malgré la place limitée faite au droit français, la réforme innovait en ouvrant pour la première fois lenseignement
universitaire vers le droit positif national. Il est néanmoins incontestable que la doctrine a fait accomplir des progrès décisifs dans cette voie et préparé la codification future, à laquelle oeuvrait aussi la législation royale.
Les attaques contre le droit romain ont été le fait de jurisconsultes dont largumentation, inspirée par leurs idées gallicanes et par un sentiment national très vif, a contribué à faire passer le droit romain, comme le droit canonique, pour étranger à la France. A cette élite des praticiens, le droit apparaissait comme le produit du « naturel » de chaque peuple, étroitement déterminé par lépoque, le milieu voire le climat où il sétait formé. Le refus de reconnaître toute autorité officielle au droit romain nimplique pas quil ait perdu toute influence. A lopposé dune réception massive du droit romain comme système juridique, son utilisation pour la raison ne consistait quà transposer un nombre limité de
solutions précises, comme lavaient fait les réformateurs de coutumes, en intégrant quelques règles romaines dans le droit coutumier pour en combler les lacunes. Le droit romain a servi de modèle aussi dun autre point de vue : il a passé pour lexemple type dun systématique et rationnel, conforme aux enseignements de la nature.
Les grandes ordonnances codificatrices
Les ordonnances de Louis XIV
Les ordonnances de Louis XIV représentent laboutissement dun vaste programme de codification du droit conçu dès le début du règne personnel et auquel fut étroitement associé le plus influent des ministres, Jean Baptiste Colbert. Si elles se rattachent à la tradition des ordonnances de réformation, elles sen distinguent par la procédure de leur rédaction, leur spécialisation rigoureuse et le caractère rationnel et ordonné de leur contenu. Colbert, dans les mémoires rédigés à cette occasion, souhaitait une réforme générale du droit. Elle aboutit à la rédaction de cinq grandes lois : lordonnance civile
davril 1667, lordonnance des eaux et forets daoût 1669, lordonnance criminelle daoût 1670, lordonnance du commerce (terrestre) de mars 1673 et celle de la marine daoût 1681. Après la mort de Colbert fut promulguée, en mars 1685, lordonnance coloniale, appelée aussi code noir, qui fixait le droit applicable dans les colonies.
Les ordonnances de Louis XIV ont fait accomplir un progrès à la codification. A la différence des codes romains, elles ne constituaient pas de simples compilations de lois antérieures mais offraient des textes originaux clairs et soigneusement rédigés, qui réformaient le droit existant. Les ordonnances civiles et criminelles nont fixé et unifié que les règles essentielles de la marche des procès, auparavant variables dune juridiction à lautre, ainsi que les questions les plus controversées, et nont abrogé que les lois et usages contraires à leurs dispositions. Lordonnance des eaux et forets, lordonnance du
commerce et lordonnance de la marine, inspirées des préoccupations mercantilistes de Colbert, ne prétendaient pas davantage traiter lensemble de la matière. Lordonnance du commerce, trop lacunaire, est apparue rapidement dépassée. Limportance qui leur a été reconnue se mesure au nombre et à la qualité des commentaires doctrinaux quelles ont suscités.
Les ordonnances de Louis XV
Les ordonnances de DAguesseau, à la différence de celles de Louis XIV, touchent directement au droit privé. Henri François dAguesseau (ou Daguesseau) exerça la fonction de chancelier de France pendant une période de trente trois ans (de 1717 à 1750), entrecoupée de disgrâces où les sceaux lui furent retirés. Juriste éminent, desprit rationnel et cartésien, il était, tout autant que Colbert, partisan de lunité de législation, mais trop prudent et trop bon connaisseur du droit pour ignorer quune telle tâche ne pouvait être réalisées dans limmédiat. Aussi a-t-il procédé par étapes et limité son travail de codification à trois questions qui firent lobjet dordonnances distinctes,
Ces ordonnances ont été réunies sous le titre officieux de code Louis XV : les donations entre vifs (1731), les testaments (1735) et les substitutions (1747). Promulguées dans des matières relevant traditionnellement du droit romain et du droit coutumier, elles navaient pas pour but de substituer à ces sources des dispositions dordre législatif mais visaient plus modestement à unifier la jurisprudence divergente des parlements. Le résultat, bien que dampleur limitée, est remarquable par sa clarté et sa valeur technique. Les ordonnances de DAguesseau ont permis une large unification du droit des donations, facilitée par le fait quil était pour lessentiel dorigine romaine. La doctrine a parachevé le travail en leur consacrant de nombreux commentaires.
votre commentaire Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique