• L’affirmation de l’Etat
     
    Les lois du royaume 
     
    Le statut de la couronne
     
    Comme celui d’aujourd’hui, l’Etat royal était doté d’un corps de règles supérieurs qui fixaient de manière immuable la transmission et les conditions d’exercice du pouvoir. La s’est dotée dans le domaine de la dévolution du pouvoir de principes bien plus rigoureux que ceux des autres Etats. A la mort du roi, tout retour au partage du royaume étant exclu, l’usage s’est instauré de reconnaître pour successeur l’aîné. Les filles, en présence de fils, recevaient une dot mais se trouvaient exclues de la succession. Si importants qu’ils soient, ces premiers principes ne formaient pas un statut propre à la Couronne. Un tel statut, fait de règles liées à la nature même de la fonction royale, a commencé à se
    constituer au XIVe siècle, lorsque la mort sans descendance masculine de tous les fils de Philippe le Bel a soulevé des difficultés nouvelles et donné naissance à des solutions originales.
     
    Avant le XIVe siècle, jamais la question de la succession d’une femme à la Couronne de France ne s’était posée, tous les capétiens ayant eu au moins un fils pour leur succéder. Louis X, en 1316, fut le premier à mourir sans héritier mâle, en ne laissant qu’une fille, Jeanne, née d’un premier lit, et une veuve enceinte. Le gouvernement revient au premier de ses frères provisoirement, Philippe de Poitiers, avec le titre de lieutenant général du royaume. Philippe conclut un accord avec la veuve de Louis prévoyant que si l’enfant à naître était un fils, celui-ci serait reconnu roi. Un fils naquit, mais sa mort au bout de quelques jours rendit l’accord caduc. Philippe, fort de l’avis favorable de l’université de Paris et de l’assentiment des grands seigneurs laïcs et ecclésiastiques, se fit reconnaître roi et sacrer, en excluant sa nièce de la succession. Le précédent suffit à fixer la coutume: lorsque, en 1322, Philippe V mourut à son tour en ne laissant que des filles, la Couronne fut dévolue sans contestation à son frère, le dernier des fils de Philippe le Bel, Charles IV
     
    A la mort de Charles IV, en 1328, la même situation se renouvela : le roi n’avait qu’une fille et sa veuve était enceinte. Après la naissance d’une fille posthume, deux prétendants revendiquèrent le trône : le roi d’Angleterre Édouard III, neveu du défunt par sa mère, Isabelle de France, et Philippe de Valois, parent plus éloigné mais par les hommes. Avec l’accord de l’université de Paris et d’une assemblée d’évêques, de nobles et de bourgeois, Philippe de Valois se proclama roi. Édouard III, encore mineur, n’insista pas pour faire valoir les droits auxquels il prétendait. L’exclusion des femmes et des parents mâles par les femmes avait un caractère plus politique que juridique. La crainte de voir réunis sur une même tête les deux couronnes de France et d’Angleterre, accentuée par le sentiment
    national naissant, a sans doute pesé plus lourd que les arguments juridiques. Édouard III, après avoir reconnu la légitimité de Philippe de Valois, se proclame roi de France en 1340 et envahit le royaume. Les désastres militaires des Valois poussèrent leurs partisans à faire de la masculinité un principe théorique. De l’interprétation allégorique d’un passage de l’évangile, ils tirèrent l’idée d’une incompatibilité entre la royauté française et la nature féminine. L’argument le plus important fut tiré de la loi salique, exhumée par Richard Lescot en 1358, qui écartait les filles de la succession à la terre des ancêtres.    
     
    Charge publique, la royauté ne pouvait disparaître avec son titulaire, et les progrès de l’idée d’Etat se reflètent dans ceux de la continuité de la fonction. Dans la tradition du haut Moyen Age, le sacre jouait un rôle essentiel : il faisait le roi, lui conférait la légitimité sans laquelle il ne pouvait régner et, à sa mort, son successeur n’était reconnu qu’après avoir été sacré. Période d’interrègne, la minorité et la régence étaient un temps d’affaiblissement de l’autorité. Pour y remédier et éviter une trop longue vacance du
    trône, l’age de la majorité royale a été de plus en plus abaissé. L’avancement de l’age de la majorité abrégeait mais ne supprimait pas l‘interrègne. Les ordonnances de Charles VI de 1403 et de 1407 l’ont au contraire fait disparaître en instaurant l’instantanéité de la succession. En conséquence, le sacre perdait une bonne partie de sa fonction : dénué d’effet constitutif, il ne transmettait plus la royauté mais se bornait à la déclarer, à la reconnaître. Autre conséquence de l’instantanéité de la succession : la disparition de la régence. Certes, l’absence de régence relève pour une part de la fiction, car le jeune roi, tant qu’il était mineur de quatorze ans, ne gouvernait pas en personne. Il y avait toujours un régent ou une régente pour exercer le gouvernement à sa place, mais il le faisait au nom du roi mineur et non plus en son propre nom.         
     
    Au début du XVe siècle, la démence du roi Charles VI avait engendré une grave crise politique. Dans l’entourage royal, deux clans rivaux se disputaient le pouvoir : les bourguignons, menés par le duc Philippe de Bourgogne puis par son fils Jean sans Peur ; les armagnacs, dirigés par le frère du roi, Louis d’Orléans. Les anglais en profitèrent pour reprendre les hostilités, envahirent le royaume et l’occupèrent en partie. Jean sans Peur s’empara du pouvoir. Mais en 1419, il fut assassiné. Les bourguignons, alliés aux anglais, en prirent prétexte pour persuader le roi de déshériter son fils. Le « honteux traité de Troyes » de1420 conclut entre Charles VI et le roi d’Angleterre Henri V déclara le dauphin indigne de succéder et désigna pour héritier Henri, que Charles VI adoptait et à qui il donnait sa fille en mariage. Dès 1419, un légiste nîmois, Jean de Terrevermeille, avait affirmé le caractère indisponible de la couronne. Pour qu’une opinion doctrinale devint loi fondamentale, il lui fallait recevoir la consécration des faits. En 1422, après la mort d’Henri V et de Charles VI, les anglais et les bourguignons reconnurent pour roi le tout jeune fils d’Henri V, Henri VI. Les armagnacs proclamèrent roi le dauphin Charles, Charles VII. En 1429, avec l’aide de Jeanne d’Arc, Charles VII prit l’offensive : son sacre à Reims lui permit d’asseoir sa légitimité et ses victoires militaires de reconquérir
    toutes les parties du royaume occupées par les anglais. Victoire qui était aussi celle du principe d’indisponibilité de la Couronne.   
     
    Pendant le Moyen Age, le maintien de l’unité religieuse avait dispensé d’envisager l’existence d’un monarque hérétique. Pour que la question se posât concrètement, il fallut la reforme protestante, la formation d’un parti protestant minoritaire mais influent, avec sa tête la reine de Navarre Jeanne d’Albret et son mari Antoine de Bourbon, enfin, le déclenchement des guerres de religion qui déchirèrent la France jusqu’en 1596. Il fallut surtout qu’une crise dynastique se greffât sur le conflit religieux à partir de 1584 : le plus proche parent par les mâles, à qui la loi salique destinait la Couronne, était Henri de Navarre, fils d‘Antoine de Bourbon et de Jeanne d’Albret, chef du parti protestant. La majorité catholique, organisé depuis 1576 dans le parti de la Sainte Ligue, proclamèrent
    roi l’oncle d’Henri sous le nom de Charles X, puis, après sa mort, envisagèrent d’appeler au trône une fille du roi d’Espagne, petite fille d’Henri II par sa mère. Les Etats généraux réunis en janvier 1593 rejetèrent cette éventualité. Le 25 juillet 1593, Henri abjura la religion réformée et, après la levée de son excommunication, fut sacré à Chartres.       
     
    Le statut du domaine royal 
     
    Le domaine royal est composé des territoires du royaume sous l’autorité directe du roi, et non régis par l’intermédiaire des féodaux. Avec la Couronne, le roi recevait un patrimoine, un ensemble de biens de toute nature qui composaient son domaine : meubles (argent, bijoux, mobilier royal), immeubles (seigneuries, châteaux, terres, forets), biens incorporels (droits féodaux et fiscaux, droits régaliens comme la justice, le monnayage, les droits d’aubaine, d’épave ou de déshérence, créances). Le droit d'aubaine est une succession, qui revenait au roi, des biens d'un étranger mort sur son royaume. Le droit de déshérence est la situation de la succession qu'aucun héritier reconnu n'est venu réclamer
    et qui, dans ce cas, est acquise à l'État. Le domaine sera constamment accru par la monarchie, par mariage, héritage, annexion, pour atteindre à la fin de l’ancien régime les limites du royaume.
     
    Jusqu’au XIVe siècle, le roi a gardé la pleine propriété et la libre disposition de son domaine. A mesure qu’émergeaient la notion de Couronne, sont apparues les premières manifestations de l’inaliénabilité. Clairement dégagé dès le XIV-XVe siècles, le principe  a commencé d’être mis en œuvre à la même époque. Philippe V, Charles IV, Philippe VI de Valois l’ont régulièrement invoqué pour justifier la révocation générale des donations de biens domaniaux et restreindre par avance les aliénations futures. Charles V est allé plus loin en faisant inclure dans le serment que prononçait le roi le jour de son sacre une clause par laquelle il s’engageait à ne pas aliéner « les droits et noblesses de la Couronne de France ». Son ordonnance du 3 mars 1356 fut la première à affirmer clairement la
    nature publique du domaine, défini comme « le propre héritage du royaume et de la Couronne de France ».
     
    Un tel engagement n’avait pourtant qu’une portée morale, insuffisante pour mettre fin à la pratique des aliénations, qui s’est poursuivie tout au long du XVe siècle et de la première moitié du XVIe siècle. Dégagée dès les derniers siècles du Moyen Age,  et déjà considérée comme loi fondamentale, l’inaliénabilité, comme le montre l’alternance d’aliénations, de révocations et de réaffirmations de la règle, demeurait mal respectée et, pour des raisons pratiques, ne pouvait l’être absolument : les nécessités d’une bonne gestion, l’obligation de trouver des ressources dans les périodes de crise financière, l’existence d’usages contraires bien établis s’y opposaient, et des exceptions avaient
    toujours été admises. Il fallait clarifier la règle : dans ce but, le chancelier de l’Hospital fit promulguer l’édit de Moulins de février 1566, qui, sans apporter des solutions neuves, a réaffirmé le principe et précisé les modalités de son application.      
     
    L’édit de Moulins a d’abord cherché à fixer la composition du domaine encore incertaine Si les biens qui en avaient fait partie au cours du règne précèdent y entraient pour former le domaine ancien ou fixe, des doutes subsistaient pour ceux qu’avait acquis le roi régnant. L’édit de Moulins a maintenu la distinction entre domaine ancien et biens acquis au cours du règne, ou domaine casuel, et limité l’inaliénabilité au premier : il prévoyait toutefois la faculté d’unir les biens du domaine casuel au domaine fixe par décision expresses du roi, ou de plein droit après qu’ils eurent été administrés pendant dix ans par des agents royaux. Par contre, l’édit ne réglait pas le sort des biens possédés en propre par le roi avant d’accéder au trône. La solution dépouillant le roi de ses biens personnels au profit du domaine fut justifiée par la métaphore du mariage mystique que le roi contractait avec la Couronne.            
     
    Limitée au domaine fixe, l’inaliénabilité supportait deux exceptions : les apanages et les engagements. Les apanages reposaient sur une tradition ancienne, et l’édit de Moulins acheva de les vider de tout contenu politique : les filles n’étaient pas apanagées en terres mais en argent pour éviter que, par leur mariage, les biens ne passent aux mains de familles étrangères ; au décès de l’apanagiste ou de son dernier mâle, s’il n’y avait pour héritiers que des filles, l’apanage revenait à la Couronne. Les engagements formaient une seconde exception, inspirée aussi de pratiques plus anciennes. En cas de guerre ou de nécessité absolue, le roi pouvait concéder des biens domaniaux en gage à des particuliers
    contre un prêt d’argent dont le montant était mis aux enchères et payé comptant. Il ne s’agissait pas juridiquement d’une véritable aliénation : seule était concédée la jouissance du fonds, non sa propriété qui demeurait à la Couronne, avec faculté de rachat perpétuel.   
     
    Le roi souverain juge et législateur 
     
    Le roi source et fontaine de justice
     
    Le roi a instauré ses propres tribunaux, où les jugements étaient rendus en son nom par des officiers qu’il nommait et à qui il confiait l’exercice de son pouvoir judiciaire. A la base, les prévôtés ou vicomtés étaient compétentes pour les seules affaires civiles et pénales de peu d’importance. Au dessus, les bailliages et sénéchaussées constituaient, à partir du XVIe siècle, les tribunaux de droit commun, compétents en première instance pour toutes les affaires qui n’étaient pas attribuées expressément à d’autres juridictions, et en appel pour juger les décisions des prévôts et des juges seigneuriaux. Au sommet de la hiérarchie, les parlements connaissaient en première et dernière instance des causes de certains privilégiés et surtout des appels des jugements des juridictions inférieures. 
     
    Unique à l’origine, le parlement de Paris a vu son ressort réduit par la création, à partir du XVe siècle, de parlement provinciaux : Toulouse (1444), Grenoble (1457), Bordeaux (1462), Dijon (1477), Aix-en-Provence (1501), Rouen (1515), Bretagne (1554), Pau (1623), Metz (1633), Besançon (1676), Douai (1713), Nancy (1775). Des conseils souverains jouant un rôle équivalent existaient dans les petites provinces rattachées tardivement au royaume (Artois, Alsace, Roussillon, Corse). A ces tribunaux de droit commun s’ajoutaient de nombreuses juridictions spécialisées, dotées de compétences d’attributions (chambres de comptes, des aides, cours des monnaies, juridictions des
    eaux et forets, tribunaux d’amirauté, juridictions consulaires, ancêtres des actuels tribunaux de commerce).
     
    Le conseil des parties connaissait des pourvois formés contre des arrêts rendus par les cours souveraines en dernière instance, et donc non susceptible d’appel. La jurisprudence a contribué avec la loi à la création de l’ancien droit privé français et, dès le XVIe siècle au moins, elle a été pleinement reconnue comme source du droit. L’autorité de la jurisprudence ne s’est vraiment affirmée qu’avec l’établissement des parlements. Son influence était bornée par l’absence de motivation des arrêt, qui ne permettait pas de connaître avec précision les raison qui avaient conduit la cour à prendre sa décision et en rendait aléatoire l’interprétation. Les arrêts n’étaient connus qu’à l’initiative de praticiens qui assistaient aux audiences, notaient les décisions les plus importantes et rassemblaient les décisions en recueils : à la fin du XIVe siècle, l’avocat parisien Jean Le Coq a été l’un des premiers à composer un tel ouvrage.             
     
    Le roi et la loi
     
    En France, la diversité coutumière et l’existence des pays de droit écrit s’opposaient à une unification rapide du droit, mais l’essor précoce de l’Etat nation a permis l’émergence, plus tôt que dans le reste de l’Europe continentale, de l’idée de droit national et favorisé son unification partielle. L’unification complète du droit ne pouvait s’accomplir que par voie législative, par l’autorité du roi. Mais le principal obstacle à la réalisation d’un tel dessein tenait au fait que, traditionnellement, le droit privé ne relevait
    guère du domaine de la loi. Si les progrès du pouvoir législatif royal sont incontestables, ils n’ont que peu touché le droit privé, et spécialement le droit coutumier, au point que l’on a parfois vu dans celui-ci un domaine où le roi s’interdisait d’entrer.
     
    Affirmation fondée sur le fait que le droit public a toujours constitué le terrain de prédilection de sa législation. Avant le XVI siècle, les interventions royales en matière coutumière sont restées épisodiques. En qualité de gardien des coutumes, le roi avait pouvoir d’abroger ou de réformer celles qu’ils jugeait mauvaises, et il en a usé pour supprimer les usages déraisonnables, oppressifs ou contraires à la morale, critères qui lui laissaient de larges pouvoirs d’appréciation. Les exemples connus de telles interventions montrent toutefois qu’elles concernaient les coutumes entendues au sens d’exactions seigneuriales. Aucune règle du droit privé stricto sensu ne parait avoir été réformée en
    tant que d’elle. On peut donc conclure qu’au Moyen Age, si rien n’interdisait au roi d’empiéter sur le domaine des coutumes, il éprouvait des scrupules à le faire.
     
    A l’époque moderne, la royauté s’est remise à légiférer en droit privé. Au XVe siècle, dans des matières comme la procédure civile et criminelle ou le droit pénal, qui s’étaient détachées du droit coutumier, réduit au droit privé stricto sensu. A partir du XVIe siècle, dans des domaines touchant plus directement au droit des particuliers. Les ordonnances de Villers-Cotterêts (1539) et de Blois (1579), l’ordonnance civile de 1667, complétées par une déclaration du 9 avril 1736, ont crée et organisée l’état civil en prescrivant aux curés d’enregistrer les baptêmes, mariages et sépultures, et en réglementant la tenue des registres. Ces progrès sont liés aux courants de pensée qui exaltaient la loi comme instrument de rationalisation du droit et tiraient parti de la rédaction des coutumes pour les faire dépendre de la volonté royale.
     
    La construction d’un monopole législatif du roi a suscité des oppositions des parlements et des états généraux. Sous l'Ancien Régime en France, un parlement est une assemblée ayant surtout un rôle judiciaire. Possédant une compétence extra-judiciaire, le parlement enregistre les ordonnances royales lues en audience publique puis transcrites sur registre par un greffier. Les légistes peuvent alors signifier au roi si la loi est juste ou contre raison. Ils ont droit de remontrance. Le roi peut passer outre. Dans ce cas, il envoie des lettres de jussion ordonnant l'enregistrement. Le parlement s'exécute ou fait de
    «nouvelles et itératives remontrances». Le roi tient alors un lit de justice: il se rend au parlement en personne et donne ordre de sa bouche au greffier d'enregistrer. En dernier recours, le parlement dispose d'une arme gênante: l'interruption de justice. Le roi finit toujours par soumettre le parlement. Les états généraux sont une assemblée politique réunie occasionnellement par le roi sous l'Ancien Régime et constituée des députés des trois ordres qui formaient l'armature juridique de la société : clergé, noblesse et tiers état.  Ils avaient comme revendication un partage du pouvoir législatif entre le roi et eux. Leur opposition provoqua leur non convocation entre 1614 et 1789.

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