• II)L’Empire romain, modèle d’Etat souverain

    Depuis 121 avant J.-C., la République romaine était entré dans une période de crise révélatrice de l’incapacité d’institutions conçues pour le gouvernement d’une cité à assurer la direction d’un vaste empire territorial. Pendant plus d’un siècle se succédèrent conflits sociaux et luttes de factions, accompagnés d’une corruption profonde des institutions républicaines et du recours fréquent à des pouvoirs d’exception ou totalement illégaux : dictature sans limitation de durée avec Sylla (86-79 av. J.-C.), triumvirats, cumul par un seul ou plusieurs magistratures permettant l’instauration d’un pouvoir personnel.

    Jules César (49-44 av. J.-C.) réunit ainsi les fonctions de consul, de dictateur, de tribun de la plèbe et de censeur avant de périr assassiné par des membres du parti aristocratique qui l’accusaient de vouloir rétablir la royauté. Après sa mort, ses anciens lieutenant se disputèrent le pouvoir : son neveu et fils adoptif Octave l’emporta sur son rival Marc Antoine et réalisa à son profit un nouveau cumul des magistratures. C’est dans ces circonstances que s’est opéré le passage de la république à un autre type de régime, l’empire.

    L’empire était une forme politique répandue dans l’Antiquité : l’Egypte, la Perse, le monde hellénique avec Alexandre le Grand, avaient connu des régimes impériaux, monocraties qui, à l’opposé des cités, dominaient de vaste territoires aux populations nombreuses et cosmopolites. Si l’Empire romain présente bien ces caractères, il offre aussi des traits originaux qui lui confèrent un plus grand intérêt sur le plan politique et juridique. Il n’est pas, au moins en apparence, une simple autocratie personnelle, livrée à l’arbitraire, mais un régime fondé sur le droit, et un droit emprunté à la République. Il a, dans une certaine mesure, continué la tradition juridique de Rome. Ambiguïté féconde puisque c’est cette conjonction du droit public républicain et d’un régime de nature monarchique qui a valu à l’Empire romain de préfigurer l’Etat souverain, tant par l’étendue de ses pouvoirs que par son organisation hiérarchisée et centralisée.


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  •       b)L’étude des formes de gouvernement

    La science politique a trouvé en Grèce un terrain favorable à son développement en raison du goût qui y régnait pour la spéculation philosophique et de la grande diversité des régimes des cités. L’étude et la typologie des formes de gouvernement ont leur origine chez l’historien Hérodote (484-425 av. J.-C.), qui a été le premier à présenter, dans un dialogue fictif entre trois seigneurs perses, les mérites et les défauts respectifs de la tyrannie, c’est-à-dire du pouvoir absolu d’un seul homme, de l’oligarchie, où le pouvoir est exercé par une minorité, et de la démocratie, où il appartient à l’ensemble du peuple.

    Classification reprise et enrichie par Platon, dans sa République (entre 384 et 377 av. J.-C.), où il distingue les régimes politiques non seulement selon leur forme objective, mais aussi selon la valeur morale de ceux qui les exercent : la monarchie peut être sophocratie lorsqu’elle est exercée par un sage dans l’intérêt commun, ou tyrannie lorsque le prince ne possède pas la sagesse et gouverne dans son propre intérêt ; l’oligarchie peut être timocratie lorsque cette élite gouverne en vue des honneurs, ou oligarchie au sens strict lorsqu’elle n’a en vue que son intérêt propre ; la démocratie, enfin, est toujours mauvaise car la multitude se révèle incapable d’acquérir et de conserver les vertus, par essences individuelles, de connaissance et de sagesse nécessaires au bon gouvernement.

    A l’idéalisme de son maitre, Aristote, disciple de Platon mais d’esprit fort indépendant, a substitué une conception réaliste qui fait de lui le fondateur de la science politique. Dans sa classification des régimes, Aristote a repris les catégories dégagées par ses prédécesseurs en combinant des critères quantitatifs, fondés sur le nombre de ceux qui exercent le pouvoir, et qualitatifs, en recherchant si le régime présente une forme pure, dérivée ou altérée, selon les gouvernants respectent les lois ou les méprisent. En fonction du nombre, on retrouve chez lui la division tripartite entre royauté (ou monarchie), aristocratie et république. En fonction de la qualité du régime, Aristote distingue la monarchie, forme pure, de la tyrannie, forme dérivée, l’aristocratie de l’oligarchie, la république de la démocratie ou démagogie, forme corrompue de la précédente.

    Aristote a posé enfin les bases de la réflexion constitutionnelle en séparant, au sein de chaque régime, différentes fonctions : la fonction délibérative, exercée par les assemblées, qui consiste à discuter des affaires publiques, la fonction d’exécution, confiée dans les cités démocratiques à des magistrats, la fonction de juger, dévolue pour partie aux magistrats, pour partie aux assemblées populaires. Selon la forme du régime, l’aménagement de ces fonctions est différent, dans une monarchie absolue, toutes sont exercées par le roi ; dans une démocratie absolue, ce sont les assemblées délibératives qui décident de tout. Mais il existe aussi des formes tempérées, réalisant un partage des attributions, idée que reprendra Montesquieu.


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  •    3)Naissance de la science politique

          a)La nature du droit

          *La loi positive

    La loi positive est une invention grecque, en rapport étroit avec l’essor des institutions aristocratiques, puis démocratiques, au sein de la cité. L’époque archaïque ne connaissait pas de véritables lois mais un droit (la thémis) que le roi exposait dans ses jugements en se référant à la volonté des dieux et aux coutumes des anciens. A partir de la fin du VIe siècle, le droit s’est progressivement laïcisé et identifié aux lois promulgués par les grands réformateurs (Dracon, Solon, Clisthène) ou votées par les assemblées : un droit écrit, de création humaine, tenant dans des lois établies par tous et connus de tous. En identifiant le droit à la loi, la pensée grecque a posé les bases du positivisme juridique.

    Elle en a expérimenté aussi les conséquences opposées ; d’un côté l’exaltation de la loi ; de l’autre la mise en doute de sa valeur et de son autorité. L’exaltation de la loi, la tendance à en faire un absolu était de tradition dans les démocraties grecques. En dépit de cette conception très haute, la loi positive n’était qu’une œuvre humaine et son autorité risquait d’en être fragilisée. Au cours du Ve siècle, elle a été contestée par une école philosophique, les sophistes, dont la doctrine consistait à douter de tout, à proclamer le relativisme le plus complet, à nier l’existence de toute valeur absolue. Expression d’une crise de la loi, les thèses des sophistes ont conduit, en réaction, à approfondir le débat sur la nature de celle-ci et à dépasser le positivisme.  

          *Les normes juridiques supérieures

    L’idée qu’au-dessus des lois positives existe des normes supérieures, dont l’origine n’est pas purement humaine, s’ancre dans une tradition très ancienne, que l’affirmation du positivisme avait contribué à refouler. Les polémiques avec les sophistes ont contribué à les ramener au premier plan : les plus grands philosophes, Socrate, Platon, Aristote, ont pris la défense des lois positives, mais une défense conditionnelle, qui sortait du cadre positiviste et justifiait les lois non par l’ordre d’un chef ou la décision d’une majorité, mais par leur fidélité à des normes plus élevés, d’origine divine ou naturelle.

    C’est également au droit naturel que se référait une école philosophique plus tardive, le stoïcisme, mais à une conception bien différente de celle d’Aristote, plus individualiste et cosmopolite. Le stoïcisme, qui s’est affirmé au temps des monarchies hellénistiques, alors que les cités avaient perdu leur indépendance et que les citoyens ne participaient plus guère aux affaires publiques, est l’expression du déclin des valeurs civiques et du repli sur soi : La nature de l’homme sur laquelle se fonde le droit naturel stoïcien n’est pas sa nature sociale mais sa nature intérieure, identique chez tous, la raison, la conscience et les préceptes moraux que dicte celle-ci.


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