• le modele constitutionnel français : l'affermissement du régime républicain

    La lente conversion des institutions
     
    Les lois constitutionnelles
     
    Il n'y a pas à proprement parler de Constitution de la IIIe République. C'est par un ensemble de lois « constitutionnelles » votées au coup par coup en fonction de l'évolution des mentalités et des rapports de forces, que la France s'installe dans la République entre 1871 et 1877. Ayant su négocier la paix et « régler » la crise de la Commune (mars -mai), le régime rassure. Le 2 juillet 1871, les républicains remportent les élections complémentaires : 99 sièges sur 114. Les monarchistes au contraire inquiètent : le comte de Chambord, prétendant de la branche légitimiste, rend public dans un manifeste son attachement au drapeau blanc (6 juillet). En attendant la mort de Chambord, qui n'a pas de descendant direct, les monarchistes imaginent de faire durer le provisoire en conférant à Thiers (loi Rivet, 31 août 1871) le titre de « président de la République ». Pendant une année et demie, il gouverne à la satisfaction générale, organise le redressement du pays, parvient à rembourser le tribut exigé par Bismarck.
     
    Le 13 novembre 1872, constatant devant l'Assemblée que « la République existe, qu'elle est le gouvernement légal du pays, vouloir autre chose serait une révolution, et la plus redoutable... », il rompt le pacte de Bordeaux, et la majorité monarchiste le pousse à la démission (24 mai 1873). Avec le maréchal de Mac-Mahon, élu président de la République, et le duc Albert de Broglie, chargé de former le gouvernement, la tendance
    conservatrice s'affirme. Une conciliation avec Chambord ayant échoué, les monarchistes libéraux se résignent à mettre en place les institutions. Ils cherchent à préserver l'avenir en encadrant le régime parlementaire de deux bastions du conservatisme : la présidence de la République, qui bénéficie de la durée (loi sur le septennat, 20 novembre 1873) et dont le titulaire peut être désigné à une voix de majorité (amendement Wallon, 30 janvier 1875), et le Sénat (loi du 24 février 1875). Le 31 décembre 1875, l'Assemblée de légitimistes et d'orléanistes se sépare après avoir fondé la IIIe République.  
     
    La confirmation de la république
     
    Entre la Chambre de mars 1876 (360 républicains, 155 monarchistes) et le président, qui s'appuie sur le Sénat conservateur, le conflit éclate. Mac-Mahon, pour composer avec la majorité, appelle d’abord Jules Simon. Le 16 mai 1877, il le remplace par de Broglie, mais les députés refusent la confiance au gouvernement : le 25 juin, l'Assemblée est dissoute. Durant la campagne, longue et passionnée, le ministère multiplie les pressions
    administratives (révocations de préfets, de maires ; fermetures de loges maçonniques, de débits de boissons). Gambetta prend la tête du camp républicain et lance un défi au chef de l'État (« Il faudra se soumettre ou se démettre ») : le 14 octobre, les républicains conservent la majorité. La crise du 16 mai aura d'importantes conséquences quant à la pratique des institutions : la dissolution tombera en désuétude. Désormais, démocratie et exécutif fort apparaissent inconciliables. Après une année de soumission, Mac-Mahon démissionne, le 30 janvier 1879 : il est remplacé par Jules Grévy, tandis que les républicains remportent les élections sénatoriales. A l'automne 1879, les Assemblées rentrent à Paris, la Marseillaise devient hymne national  ; le 14 juillet 1880 est, pour la première fois, fête nationale. Le triomphe de la république est complet.  
     
    L’évolution du régime

     
    La crise du 16 mai 1877 entre Mac Mahon et le Parlement va donner à la IIIe République son visage définitif. Privé du pouvoir de dissolution, le chef de l’État est réduit à un rôle de représentation (c’est de cette époque que vient l’expression « inaugurer les chrysanthèmes »). L’essentiel du pouvoir exécutif passe entre les mains du gouvernement. A cet égard, après le départ de Mac Mahon, les parlementaires, chargés de l’élection du Président de la République, privilégieront toujours les candidats dont le profil politique semble de nature à s’acclimater avec cet effacement imposé. Les gouvernements ont une durée de vie très courte. Cette instabilité ministérielle s’explique notamment par une procédure de mise en jeu de la responsabilité qui n’est pas rationalisée : le gouvernement peut être mis en minorité à tout moment à la majorité simple. Enfin, si le gouvernement est responsable devant les chambres, il l’est également devant les partis : le retrait de l’appui d’une des composantes de l’alliance conduit inéluctablement le gouvernement à la démission.
     
    La tentation nationaliste
     
    L’Etat français
     
    Pétain, devenu président du Conseil le 16 juin 1940, s'installa avec son gouvernement, après l'armistice, à Vichy, en zone non occupée (2 juillet). Le 10 juillet, les députés et les sénateurs votèrent la fin de la IIIe République, par 569 voix contre 80 et 19 abstentions. L'Assemblée nationale délégua au maréchal Pétain le pouvoir de préparer une Constitution, laquelle ne verra jamais le jour. Pétain promulgua cependant dès le
    lendemain trois actes constitutionnels abrogeant la Constitution de 1875, ajournant le Parlement sine die et conférant à lui-même tous les pouvoirs, avec le titre de chef de l'État français. Puis, le 12 juillet, il s'adjoignit Pierre Laval comme vice-président du Conseil et successeur désigné. Pétain annonça bientôt la « révolution nationale », qui était censée transformer les mœurs et l'homme lui-même, et qui s'inspirait à la fois des doctrines de la droite française traditionnelle (Maurras) et du personnalisme.  
     
    Il s'agissait de rénover la nation : abolition de l'héritage démocratique de 1789 ; lutte contre le libéralisme, l'individualisme, le marxisme ; restauration d'un État autoritaire et hiérarchique ; substitution du corporatisme à la lutte des classes ; exaltation des valeurs patriarcales, familiales, paysannes et artisanales. Cette révolution de droite, illustrée par la formule « Travail, Famille, Patrie » — qui remplaçait la devise républicaine « Liberté,
    Égalité, Fraternité » —, fut préparée par une série de mesures d'exception. Le régime de Vichy sera placé sous l’autorité exclusive du maréchal Pétain jusqu’en 1942 puis, ensuite, sous l’autorité partagée du maréchal et, alternativement, de Pierre Laval ou de l’amiral Darlan. Au débarquement des Alliés en Afrique du Nord (8 novembre 1942), les Allemands répliquèrent par l'occupation de la zone libre (le 11). Vichy devint alors un
    gouvernement satellite du Reich. Darnand, Henriot et Déat entrèrent au gouvernement, tandis que les Allemands accentuèrent leur politique répressive à l'encontre des résistants et des juifs. Le débarquement de Normandie accéléra la désagrégation du régime.
     
    La légalité du régime ?
     
    De 1940 à 1945, deux gouvernements, le régime de Vichy et le gouvernement de De Gaulle, vont coexister. Le 22 juin 1940, au lendemain de son appel, le Général de Gaulle créé le Comité de la France libre. Il sera reconnu par les anglais comme « le chef de tous les français libres ». Avec l’extension de la lutte au sein de l’Empire colonial et fort du ralliement d’un certain nombre de Gouverneurs est créé le Conseil de défense de
    l’Empire qui sera flanqué, à partir du 24 septembre 1941 du Conseil national français. Le 14 juillet 1942 la France libre devient la France combattante, la résistance extérieure et la résistance intérieure font leur jonction qui se traduit au-delà de la formule par un Conseil national de la résistance fondé le 14 juin 1943. Après le débarquement en Afrique du Nord en novembre 1942, les alliés imposent l’entente entre le général de Gaulle et le général Giraud. Le Comité français de la libération nationale est alors créé. Les deux hommes se succèderont à sa tête. Mais de Gaulle évincera son allié encombrant. Une Assemblée consultative provisoire est alors mise en place le 17 septembre 1943.  
     
    La continuité de l’Etat
     
    En débarquant sur le territoire métropolitain, le CFLN se transforme en Gouvernement provisoire de la République française, dirigé par le Général de Gaulle. L’Assemblée consultative s’élargie au fur et à mesure que les prisonniers et déportés sont libérés. Des préfets sont nommés dans les départements. L’ordonnance du 8 août 1944 portant rétablissement de la légalité républicaine met fin à la parenthèse institutionnelle. Le 21
    octobre un référendum est organisé pour donner une assise juridique aux institutions provisoires. Trois solutions sont possibles : le retour à la IIIe République, l’élection d’une Assemblée constituante aux pouvoirs illimités, l’élection d’une Assemblée constituante aux pouvoirs limités. C’est la dernière solution qui l’emporte. La loi constitutionnelle du 2 novembre 1945 prévoit la procédure d’élaboration de la future constitution et met en place les institutions provisoires.  
     
    La recherche de l’équilibre institutionnelle

     
    L’essai d’un régime parlementaire

     
    Le gouvernement provisoire
     
    Le gouvernement provisoire qui s'installe à Paris en août 1944 s'attache à réorganiser la nation au fur et à mesure que le territoire est libéré et à restaurer l'État tout en travaillant à l'élaboration de nouvelles institutions. Le gouvernement de Gaulle comprend, à l'aube de 1945, des socialistes, des communistes (aux postes économiques et chargés à ce titre de la reconstruction), des MRP et diverses personnalités « modérées ». Les partis non communistes soutiennent de Gaulle, mais en matière de budget, notamment concernant l'armée, les socialistes sont aussi vigilants que les communistes. Ce contrôle que l'Assemblée prétend exercer sur l'action gouvernementale est insupportable à de Gaulle, qui démissionne brusquement, en janvier 1946, récusant ce qu'il appelle le « régime des partis ». Enfin se pose le problème de savoir s'il convient de donner une nouvelle Constitution à la France. Les Français décident par référendum d'élire une Constituante pour se donner des institutions nouvelles.
     
    Le projet du 5 mai 1946
     
    Un projet est arrêté le 19 avril 1946. Le texte crée une assemblée unique, assistée de deux organes consultatifs : le conseil de l’Union française et le conseil économique. Il institue un président de la république, élu par l’assemblée au scrutin public et cantonné dans un rôle honorifique et de représentation. Le président du conseil est élu par l’assemblée nationale sans intervention du président de la république. Il choisit lui-même
    ses ministres mais doit obtenir la confiance de l’assemblée sur la composition du gouvernement et sur son programme. Il est le titulaire du pouvoir exécutif. Le cabinet est responsable devant l’assemblée  
     
    Le projet de constitution élaboré par l’Assemblée doit être approuvé par le peuple. Un premier projet est arrêté le 19 avril 1946 mais lors du référendum du 5 mai le peuple le rejette. Soumis au peuple le 5 mai 1946, le texte est repoussé par 10 584 000 voix contre 9 454 000. C’est la première fois qu’en France un referendum échoue. Pourquoi cet échec? Le MRP, la droite et les radicaux avaient fait campagne contre le projet. Les
    élections avaient montré quelques mois auparavant que cette coalition était minoritaire dans le pays, et le silence observé par le général de Gaulle n’était pas fait pour renforcer sa position. Une nouvelle Assemblée est alors élue le 2 juin 1946.
     
    Les institutions de la IVe république
     
    Un premier projet est arrêté le 19 avril 1946 mais lors du référendum du 5 mai le peuple le rejette. Une  nouvelle Assemblée est alors élue. Le deuxième projet est adopté le 29 septembre 1946 et approuvé par le peuple le 13 octobre. La Constitution du 27 octobre 1946 a fait le choix du régime parlementaire rationalisé, ce qui implique un certain aménagement des pouvoirs publics. Le bicaméralisme est l’un des éléments qui
    caractérise la Constitution du 27 octobre 1946 par rapport au projet du 19 avril 1946. Mais le bicaméralisme choisi est inégalitaire. D’ailleurs, ce caractère inégalitaire apparaît bien dans les noms donnés aux deux assemblées : l’assemblée nationale et le conseil de la république. L’assemblée nationale est élue au suffrage universel direct pour 5 ans ; la circonscription est le département. La proportionnel sera remplacée en 1951 par un mode de scrutin mixte que l’on appellera le système des apparentements. Le conseil de la république est élue pour 6 ans au scrutin indirect départemental. Si le Parlement est bicaméral, l’exécutif est bicéphale ce qui est le propre de ce régime.
     
    Le Président de la République est élu dans des conditions qui sont quasiment les mêmes que celles de la III ème. Mais ses pouvoirs sont amoindris. Il est élu par le Congrès (Députés + Sénateurs) à la majorité absolue des suffrages, au scrutin secret, par appel nominal pour sept ans. il ne choisit plus le Président du Conseil, il ne fait que « pressentir » un candidat qu’il nomme certes mais uniquement lorsqu’il a été investi par l’Assemblée Nationale. Il perd le droit de dissolution qui est exercé désormais en Conseil des Ministres. Il signe et ratifie les traités, mêmes si les plus importants  « sont ratifiés en vertu d’une loi ». Il promulgue les lois, mais il ne peut refuser puisqu’il dispose d’un délai de 10 jours simplement il peut demander un deuxième délibération. Il dispose d’un droit de message à l’égard de l’Assemblée Nationale. Tous ses actes sont contresignés par le Président du Conseil. A la différence de ce qui se passait sous la III ème, le Président du Conseil dispose d’un statut constitutionnel. la Constitution du 27 octobre 1946 prévoit la procédure de nomination et les pouvoirs du Président du Conseil.  
     
    L’échec des institutions

     
    Le parlement ne décide plus et abdique ses pouvoirs au profit d’un exécutif lui-même incertain de ses lendemains. Les parlementaires abandonnent de plus en plus l’initiative des lois et surtout les décrets-lois font une réapparition en force en dépit de l’interdiction formelle posée par l’article 13 de la constitution. Plus inconstitutionnels qu’auparavant ils sont aussi plus nombreux ; leurs domaines privilégiés sont l’économie, le social, le fiscal. Une loi-cadre est une loi fixant les dispositions générales d'une réforme et laissant au
    gouvernement le soin d'en développer les différentes parties en vertu de son pouvoir réglementaire. Une loi du 17 août 1948 préfigurant les articles 34 et 37 de la constitution de 1958 devait tenter d’alléger la tâche du parlement en définissant des domaines réglementaires par nature, ouverts à l’exécutif sans intervention du parlement.    
     
    L’instabilité ministérielle reste pour beaucoup la caractéristique centrale de ce nouvel épisode républicain. Si certains commentateurs mettent en avant le fait que le personnel politique au pouvoir a été à peu près toujours le même, il n’en reste pas moins que vingt-et-un gouvernements ont été formés en treize ans. Le plus long, celui de Guy Mollet, dura seize mois, tandis que deux (ceux de Robert Schuman et de Henri Queuille) eurent une durée de vie de…deux jours. Les leçons de la IIIe République avaient pourtant été retenues. Mais, après avoir tenté de mettre en place des procédures pour rationaliser le régime, les vieux démons parlementaires de l’avant-guerre l’emportèrent (mise en jeu fréquente de la responsabilité gouvernementale et mise en œuvre diffici le du pouvoir de dissolution). Les institutions ne sont pas les seules en cause.  
     
    Le contexte politique s’avère aussi très difficile. Les gouvernements successifs ne peuvent s’appuyer sur une solide majorité dans la mesure où deux des plus importants partis refusent d’intégrer les coalitions gouvernementales : le parti communiste, que radicalise la guerre froide, et le nouveau parti gaulliste, le RPF. De plus, la situation économique et les conflits extérieurs ne facilitent guère la tâche des gouvernements.  
    Après le renversement de Guy Mollet (mai 1957), les gouvernements successifs, sans majorité stable, ne parviennent pas à résoudre le problème algérien. En 1958, la crise gouvernementale et l’aggravation de la situation en Algérie (émeute du 13 mai à Alger) provoquent le retour au pouvoir du général de Gaulle, nommé président du Conseil le 1er juin. Le général a conditionné son retour à la rédaction d’une nouvelle Constitution. La IVe République prend donc fin le jour de la promulgation de la nouvelle Constitution.  
     
    La IVe République a complètement échoué à donner à la France la stabilité politique qu’elle croyait pouvoir assurer en tirant les leçons de la IIIe République. Les mêmes défauts réapparaissent, parfois même avec plus de vigueur, alors que des tensions subsistent. En effet, si la France, dans les années trente, échoua à prévenir un danger externe, la montée du nazisme, dans les années cinquante, elle est agitée par un problème interne propre à allumer des guerres civiles, la question coloniale, et ce dans un contexte de guerre froide. La paralysie des gouvernements successifs, malgré leur action réelle en faveur de la reconstruction économique et la promulgation de lois sociales importantes, provoquera une grave crise nationale que seul le retour de De Gaulle permettra d’endiguer.


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