•    3)La jurisprudence des arrêts

    La jurisprudence des arrêts a également contribué à la création de l’ancien droit privé français et, dès le XVIe siècle au moins, elle a été pleinement reconnue comme source du droit. Jusqu’au XIIIe-XIVe siècles, les jugements, censés exposer purement et simplement le contenu de la coutume, restaient dépourvus de valeur propre et ne servaient qu’à établir la preuve des dispositions coutumières, reconnues notoires lorsqu’elles étaient consacrées par une décision judiciaire.

    Au XIIIe-XIVe siècles, les précédents judiciaires ont commencé par jouer un rôle dans la fixation de la procédure, et c’est d’abord à ce titre qu’ils ont été invoqués par les plaideurs et consignés dans les premiers recueils de jurisprudence, ou styles, comme celui de l’avocat parisien Guillaume Du Breuil. Une autorité plus forte s’attachait aux arrêts de règlement, décisions à caractère général qu’un parlement rendait soit à l’occasion d’un procès, soit en dehors de toute affaire contentieuse, notamment lors de l’enregistrement des actes royaux, sur réquisition de son procureur général.

    L’autorité de la jurisprudence trouvait cependant des limites, d’abord dans sa diversité, reflet de pluralité des cours souveraines. L’influence de la jurisprudence était également bornée par l’absence de motivation des arrêts, qui ne permettait pas de connaitre avec précision les raisons qui avaient la Cour à prendre sa décision et en rendait aléatoire l’interprétation. Enfin, faute de publication régulière, la connaissance même des arrêts restait difficile.

    Avec le développement de l’imprimerie, les recueils d’arrêts ont été publiés en grand nombre. Des arrêts étaient également cités et étudiés dans les commentaires de coutumes, les traités spécialisés et les recueils de plaidoiries d’avocats. Au XVIIe-XVIIIe siècles, la jurisprudence a été abondamment exposée aussi sous la forme de dictionnaires ou de recueils de questions de droit, qui, comme pour les coutumes, témoignent d’un effort de comparaison et de synthèse.

    Mais ces ouvrages, sauf exception, ne donnaient pas le texte intégral des arrêts, dont ils se bornaient à résumer la substance et à proposer un commentaire souvent succinct, avec des références parfois approximatives, des interprétations contestables, et les magistratsjugeaient sévèrement le travail des arrêtistes. La doctrine, dans un système juridique pluraliste, demeurait omniprésente, pour commenter les coutumes, les ordonnances, les arrêts, pour harmoniser et synthétiser les différentes sources et faire du droit français un ensemble aussi cohérent que possible.


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  •    2)Les progrès de la législation royale

    L’unification complète du droit ne pouvait s’accomplir que par voie législative, par l’autorité du roi, et, dès 1481, Louis XI, monarque novateur, voire révolutionnaire, avait conçu le projet, que sa mort laissa sans suite, d’unifier toutes les coutumes de même que les poids et mesures du royaume. A partir du XVIe siècle, les progrès de l’Etat se sont traduits par le développement de la législation, mais surtout dans le domaine du droit public. Ils sont restés encore trop limités dans celui du droit privé pour atteindre un tel résultat.

          a)Législation royale et droit privé

    Si les progrès du pouvoir législatif royal sont incontestables, ils n’ont que peu touché le droit privé, et spécialement le droit coutumier, au point que l’on a parfois vu dans celui-ci un domaine où le roi s’interdisait d’entrer. A l’époque moderne, la royauté s’est remise à légiférer en droit privé. Ces progrès sont liés aux courants de pensée qui exaltaient la loi comme instrument de rationalisation du droit et tiraient parti de la rédaction des coutumes pour les faire dépendre de la volonté royale.  

          b)Les ordonnance de codification

    L’idée d’une codification du droit, qui devait en permettre la rationalisation, a pris corps très tôt et, dans un contexte de pluralisme juridique, elle s’est accompagnée d’un dessein plus vaste d’unification qui en rendait la réalisation d’autant plus difficile. Les premières réalisations datent du XVI e siècle. Semi-officiels ou purement privés, ces ouvrages n’étaient, comme le Code de Justinien, que des compilations méthodiques. Les ordonnances de Louis XIV et D’Aguesseau ont franchi un pas bien plus important vers la codification moderne.

    Les ordonnances de Louis XIV représentent l’aboutissement d’un vaste programme de codification du droit conçu dès le début du règne personnel et auquel fut étroitement associé le plus influent des ministres, Jean-Baptiste Colbert. Si elles se rattachent à la tradition ancienne des ordonnances de réformation, elles s’en distinguent par la procédure particulière de leur rédaction, leur spécialisation rigoureuse et le caractère rationnel et ordonné de leur contenu.

    Les ordonnances de D’Aguesseau, à la différence de celle de Louis XIV, touchent directement au droit privé. Promulguées dans des matières relevant du droit romain et du droit coutumier, elles n’avaient pas pour but de substituer à ces sources des dispositions d’ordre législatif mais visaient à unifier la jurisprudence des parlements. Le résultat, bien que d’ampleur limitée, est remarquable par sa clarté et sa valeur technique. La doctrine a parachevé le travail du chancelier.


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  •       b)L’essor de la doctrine coutumière

    L’essor de la doctrine coutumière a été une conséquence indirecte, mais des plus importante, de la rédaction. Tant que les coutumes demeuraient orales, les juristes se bornaient à en exposer plus ou moins fidèlement le contenu, sans prétentions doctrinales ni scientifiques. Dès qu’ils ont disposé de textes officiellement rédigés, donc stables et sûrs, ils se sont mis à les étudier et à les commenter en utilisant les méthodes des romanistes, et ils ont de ce fait contribué à transformer le droit coutumier, de simple pratique qu’il était, en un véritable droit savant.

          *Les commentaires de coutumes

    Dans la première moitié du XVIe siècle, aussitôt après la rédaction, ont paru de nombreux commentaires de coutumes, dont les articles étaient interprétés selon des procédés d’inspiration bartoliste identiques à ceux que l’on appliquait aux lois du Digeste et du Code. Par la suite, les jurisconsultes coutumiers ont adopté les méthodes des humanistes, en faisant une moindre place au commentaire exégétique et à l’examen de questions pratiques au profit de raisonnements logiques, de manière plus synthétique et déductive. Le commentaire de coutume l’a emporté de beaucoup aux siècles suivants sur les droits savants traditionnels.

          *La création du droit commun coutumier

    L’apport le plus original et le plus fécond de la doctrine a consisté à dépasser la diversité des coutumes pour chercher à introduire l’unité autour de la notion de droit commun coutumier. Les juristes du XVIe siècle, en même temps qu’ils rejetaient la primauté du jus commune bartoliste, ont éprouvé le besoin de le remplacer dans sa fonction unificatrice par un nouveau droit commun, fondé sur les coutumes elles-mêmes, qu’ils ont commencé à envisager comme système homogène. Le droit commun coutumier, appelé de plus en plus souvent droit français, devait jouer un rôle identique à celui qui était dévolu auparavant au jus commune. 

          *L’enseignement du droit français

    Le travail d’unification de la doctrine a trouvé une consécration et un prolongement dans l’enseignement : reprenant une idée de Guy Coquille, l’édit de Saint-Germain-en-Laye d’avril 1679 (art. 14) a institué dans toutes les facultés de droit, y compris celles des pays de droit écrit, des cours de droit français à côté des matières traditionnelles, droit romain et droit canonique. Ils devaient être dispensés non par des docteurs-régents, comme les précédents, mais par des professeurs royaux dotés d’un statut particulier, recrutés parmi les meilleurs praticiens et rémunérés directement par le roi. La doctrine, à elle seule, ne pouvait réduire à l’unité le droit privé français.


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  • II)La naissance des droits nationaux

    Le déclin des droits « universels » a favorisé la naissance et l’affirmation des droits nationaux. L’évolution a été plus ou moins rapide selon les pays, en fonction de l’état d’avancement de leur unification politique. Néanmoins, au XVIIIe siècle, l’existence d’un droit propre à chaque Etat ou à chaque nation apparait presque partout acquise et commence à se concrétiser dans le mouvement de codification qui s’amorce à cette époque.

       1)La promotion du droit coutumier

    Jusqu’au XVIe siècle, le développement du droit coutumier français s’était heurté à un obstacle majeur : le caractère oral des coutumes, qui rendait difficile leur connaissance, hasardeuse l’issue des procès, et soulignait leur infériorité à l’égard des droits savants. Aussi la rédaction officielle, entreprise au XVe siècle mais réalisée surtout au cours du XVIe, a-t-elle été lourde de conséquences, en modifiant la nature et l’autorité du droit coutumier, et en créant les conditions de son élaboration doctrinale et savante.

          a)La rédaction des coutumes

    La rédaction officielle des coutumes, restées jusque-là, à l’exception de celle du Midi, orale ou rédigées seulement à titre privé, constitue un tournant dans l’histoire du droit. La plupart des coutumes furent rédigées dans la première moitié du XVIe siècle. Dans la seconde moitié du siècle, le travail de rédaction étant presque achevé, commença la réformation, c’est-à-dire la révision des coutumes déjà rédigées dans le but d’en moderniser la forme et le fond.

    La procédure établie par l’ordonnance de Montils-lès-Tours laissait une large initiative aux autorités locales. Plus précis et plus directif, l’édit de 1498 l’a modifié en faisant intervenir dès le début des commissaires royaux et en leur confiant un rôle plus actif. Les commissaires réunissaient des praticiens locaux réputés pour leur connaissance du droit et élaboraient avec eux un projet de coutume. Une fois le travail achevé, la coutume rédigée était promulguée par le roi et, dès lors, s’imposait à tous.

    La rédaction a causé de profonds changements dans les coutumes. Elle a eu pour première conséquence d’en diminuer le nombre. La rédaction, et plus encore la réformation, ont permis aussi de moderniser et jusqu’à un certain point d’uniformiser le droit coutumier. Toutefois la rédaction a eu aussi des effets moins favorables. Elle a contribué à figer les coutumes, à rendre impossible leur évolution ultérieure. Aussi certaines solutions des coutumes rédigées sont-elles devenues caduques.


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