•    1)Introduction

    L’expression est née le 15 novembre 1959, durant les assisses de l’Union pour la Nouvelle République (UNR), où Jacques Chaban-Delmas, alors président de l’assemblée nationale, évoque l’existence d’un « domaine réservé » au chef de l’Etat, qui s’étendrait aux questions internationales et militaires. A l’époque, il ne s’agit pas pour lui d’énoncer un nouveau principe constitutionnel de répartition des compétences, mais simplement d’établir une distinction interne, à l’usage exclusif du parti gaulliste – et d’affirmer que ce dernier n’a aucun droit de regard ni de critique sur ces questions particulières, réservées au président. Pourtant, le succès immédiat de cette expression n’est pas dû à un quiproquo, mais au fait qu’elle décrit au fond très précisément la pratique présidentielle telle qu’elle est en train de s’affirmer à l’époque. Autrement dit, il existe bien un domaine réservé, mais cette réserve ne joue que dans un sens, pour interdire au premier ministre d’intervenir dans le champ d’action du président, sans pour autant empêcher ce dernier d’étendre ce domaine à sa guise en fonction des circonstances.

       2)En période « normale »

    Cette notion ne figure pas expressément dans la constitution : cependant, dès 1959, l’idée est avancée selon laquelle existerait, au profit du chef de l’Etat, un tel domaine, transcendant la distinction établie dans l’article 19 (pouvoirs propres / pouvoirs partagés), et qui comprendrait l’ensemble des questions internationales et militaires, en bref, tout ce qui concerne directement l’intégrité du territoire et l’indépendance nationale évoquées par l’article 5. Dans ce domaine, c’est le chef de l’Etat qui fixe seul les grandes orientations et qui prend toutes les décisions importantes, parfois sans même en avertit son premier ministre. De même, c’est lui qui nomme directement les ministres en charge de ces questions, qui ne vont qu’en référer qu’à lui. La fiction du texte s’efface derrière la réalité de la « monarchie républicaine ». Dans ces « grandes affaires » qui intéressent directement le destin de la nation, le premier ministre n’a pas intervenir, si ce n’est à la demande du président de la république.

       3)En période de cohabitation

    En période de cohabitation, le « domaine réservé » ne disparait pas, du moins pas tout à fait. Si ce domaine subsiste en partie, c’est d’abord parce que certains pouvoirs en matière de défense et d’affaires étrangères sont attribués en propre au président par divers textes, nationaux ou internationaux, et qu’en outre il peut se réclamer sur ce plan des dispositions de l’article 5. C’est ensuite parce que l’action du président en la matière se manifeste fréquemment par des « actes matériels », pour lesquels il n’a pas, on le sait, à obtenir l’accord de son premier ministre. C’est enfin parce que le premier ministre, soit par principe, soit par convenance ou par prudence politique, accepte de ne pas l’envahir : parce qu’il renonce volontairement à récupérer, dans ce domaine, l’ensemble des pouvoirs qu’il tient de la constitution. Mais il lui serait juridiquement possible de se réapproprier ces pouvoirs, aucune règle ne l’obligeant à respecter ce qui résulte entièrement de l’usage politique et de rapport de forces. Ce qu’on peut en conclure, c’est qu’en période de cohabitation le domaine réservé ne disparait pas, mais change de nature. Il s’agit désormais d’un domaine disputé, plutôt que d’un domaine réservé.


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